Virginie Morgon
Commençons par ce courage-là puisque c’est celui qui est à l’origine de tous les engagements.
“Le premier frein au déploiement de schémas de rupture dans les entreprises, c’est une mauvaise appréhension du sujet par manque de formation des dirigeants,” annonce tout de go Barthélémy Guislain, président de l’Association familiale Mulliez.
témoigne de son côté Cécile Beliot
L’exercice est loin d’être anodin : si l’ignorance rend trompeusement sûr de soi(1), la quête de vérité est au contraire une mise à nu, une reconnaissance de sa vulnérabilité, de ses biais, de ses insuffisances. C’est tout à la fois une éthique de la compréhension et un sport de combat : ne pas se laisser aller au contentement de soi et à la cécité, ne pas se limiter à “regarder le symptôme sans creuser jusqu’à la racine”, pour reprendre les mots de Michel Aballea, ancien directeur général de Décathlon.
“Tant que les dirigeants n’acceptent pas de passer du temps sur la réalité scientifique, ils risquent de rester dans le déni sur leur responsabilité.” – Barthelemy Guislain
Cette éthique suppose donc une culture du doute autant qu’un goût du vrai, dans toute sa complexité et sa nuance.
→ Premièrement, de relever les œillères du court terme pour préférer appréhender les événements et leurs conséquences sur le temps long. Car le manque de perspective long terme est un des risques majeurs d’une bonne gouvernance(2). “On nous a appris à piloter la performance au trimestre. J’ai dû renoncer à tous ces réflexes pour pouvoir embrasser les conséquences durables de nos actions.“ – Cécile Beliot, directrice générale du groupe BEL.
Michel Aballea
→ Et ensuite de contrer les lectures partielles en croisant les expertises et les sensibilités : “La vraie richesse de l’entreprise, c’est sa capacité à créer du lien avec ses collaborateurs, fournisseurs, investisseurs, clients. L’entreprise résiliente a besoin de ces différents regards pour grandir.” — Emery Jacquillat, PDG de la Camif, premier distributeur à avoir obtenu le statut d’entreprise à mission en France.
“Il faut oser s’engager dans le débat,” déclare Philippe Blondiaux, Global Chief Financial Officer chez Chanel. “Il faut s’entourer d’autres personnes pour développer sa capacité à aller au-delà de son intérêt personnel et choisir de privilégier les intérêts de la société.”
On dit que la complexité d’un système de pilotage doit être au moins égale à la complexité de cet environnement : croiser les regards devient essentiel pour capturer les enjeux dans leur ensemble financier, économique, humain et environnemental.
“Le courage, c’est ne pas mettre les choses sous le tapis.” — Michel Aballea.
La vérité est donc courageuse quand elle est partagée et non cachée. Eric Rampelberg, vice-président et directeur général d’Interface, de compléter : “Le courage, c’est dire le vrai de manière transparente avec ses parties prenantes, tout en sachant que vous serez dénigré et attaqué.”
René Char définissait la lucidité (qui vient du latin « lux, lucis », désignant la lumière) comme la « blessure la plus rapprochée du soleil ». Quoi de plus littéralement proche du soleil, brûlant et éclairant à la fois, que la lucidité ?
Il faut accepter de s’y brûler un peu les ailes en la donnant à partager.
Un discours de vérité qu’il faudra donc accepter qu’il ne fasse pas l’unanimité, mais qui pourrait finalement soulager les cœurs lourds d’omissions et d’occultations.
∗∗∗
(1) J. Birnbaum, Le courage de la nuance, Seuil (2021)
(2) P.-Y. Gomez, La gouvernance d’entreprise, Que sais-je ? (2021)
(3) R. Char, Feuillets d’Hypnos (1946)